TÉMOIGNAGE
Maud Losfeld, Chronique d’une mort refusée, Merlin, Les Déjeuners sur l’herbe, 2018, 234 p.(15 €)

Comment se vit le choix à faire par quelqu’un lorsqu’un de ses proches est menacé de mort par la maladie et que, pour tenter de le sauver provisoirement, il s’agit d’accepter de lui donner un organe. Voilà ce que donne à lire, sans apprêt, Maud Losfeld, en séquences brèves décrivant un cheminement humain en ses étapes successives.

Elle parle avec une lucidité totale. Donc avec une sincérité qui ne cache rien des émotions éprouvées, des sentiments ressentis. Son récit se livre au présent car ce qu’elle décrit est à vivre jour après jour. Le passé est juste là pour évoquer comment se comportait ce père brusquement assailli par un cancer comme son propre père l’avait été avant lui.

Les étapes suivent un cours normal : incrédulité, occultation provisoire de l’annonce à transmettre au patient, culpabilisation pour n’avoir rien décelé, recherche tous azimuts d’infos sur la maladie, espérance en alternance de désespoir, révélation d’une solution via une possible greffe de foie, acceptation de donner du sien.

Après ce prélude, l’organisation du quotidien, les changements d’habitudes alimentaires dès qu’il s’avère possible de transmettre les ¾ d’un organe sain. Ensuite convaincre un papa qu’on charcute sa fille pour lui. Puis espérer qu’un chirurgien estimera que cela vaut la peine au-delà des risques encourus. Plus tard, convaincre la mère qu’elle doit accepter qu’on charcutera et son mari chéri et sa fille adorée avec tous les risques encourus, y compris le pire.

L’attente est sans doute l’étape la plus longue et la plus coriace. Mais une fois l’intervention chirurgicale terminée, la convalescence de la donneuse prend du temps, celle de son receveur géniteur est plus aléatoire tant le cancer l’a affaibli. Tout cela que chacun sait plus ou moins confusément sans l’avoir vécu de près.
Et c’est le mérite de ce livre sans prétention, écrit en langage direct, authentique et donc attachant. Au surplus, qui ne manque pas d’humour. Ainsi, lorsque Maud Losfeld se demande si elle ne devrait pas se faire tatouer le plan de l’hôpital. Ou lorsqu’elle constate : « Ici on mange à 17 h 30. Comme si la nourriture s’oxydait dès la disparition du soleil ». Ce que nous dit ce témoignage, finalement, c’est que ce moment de deux vies a changé les relations entre fille et père, fille et mère, fille et entourage, fille et façon d’envisager l’existence.

Michel Voiturier