Michel Host – Une vraie jeune filleEd. Weyrich – Collection Plumes du coq – 197 pages

Michel Host nous emmène dans un périple époustouflant à travers cet ouvrage à multiples facettes. Impossible d’en déterminer le ton en quelques phrases, tant il est variable et déconcertant. L’auteur joue avec nos attentes, changements de cap et de ton surprenants, on va d’étonnement en étonnement, découvrant des paysages fort différents au fil des pages.

Il commence par nous présenter une sorte d’Artémis intemporelle, qui se livre à des parties de chasse à l’arbalète dans un domaine privé, complètement nue même au cœur de l’hiver, en compagnie de son serviteur Holopherne, nu lui aussi – ceci pour donner au gibier plus de chances de les détecter à l’odeur, se mettre à égalité avec lui. Consciente que la chasse est « d’essence guerrière » – et non sportive – et qu’elle procède d’un « déchaînement  trouble et puissant gisant au tréfonds le plus nébuleux de la personne humaine ». C’est la première des nouvelles, celle qui donne le titre au livre. Voilà donc la « vraie jeune fille », fière, libre, chasseresse sans pitié mais sans cruauté – sauf pour les intrus humains qui pénètrent dans le domaine et tuent, eux, sans respect, par « sport ». Ce qu’elle n’admettra pas. La jeune fille dans toute sa splendeur, semblant sortir tout droit de la mythologie mais présentée comme contemporaine car les chasseurs ont des fusils. On flirte avec le surréalisme dans cette mise en scène un peu théâtrale, où l’antique nudité (sur laquelle on ne s’attarde pas) ne prête pas à connotation érotique mais plutôt à splendeur artistique et ne sert qu’à montrer la femme dans sa simple « vérité » de femme, belle et intransigeante quant au respect de l’ordre et de la vie.

Cette longue nouvelle est suivie d’autres, beaucoup plus courtes, oscillant entre la nouvelle égrillarde, légère, où des jeunes filles pleines de vie se montrent joyeusement entreprenantes, et d’autre part, le vécu (ou possible vécu) d’un homme qui perd sa mère et ses repères, et d’autres, en mauvaise posture à l’hôpital, pour terminer par des « Contes pour aujourd’hui », qui n’ont rien de féérique et donnent plutôt dans le fait divers noirâtre. Des portraits de femmes sont ainsi esquissés à travers leurs comportements, libres et sans complexes, dans une sorte de jeu, parfois malicieux, parfois dangereux. On évolue dans un monde à part, entre réel et surréel, entre drôle et moins drôle.

L’auteur réussit le tour de force de nous présenter des choses peu vraisemblables ou carrément mythiques côtoyant les réalités les plus quotidiennes, dans une espèce de décalage subtil d’un texte à l’autre. Nous passons ainsi des valeurs héroïques de l’Antiquité romaine, à travers les jeux de rôles initiés par un professeur de latin plein d’humour et de tempérament, qui passe en revue l’histoire de Rome en « traduction animée » (et irrévérencieuse) des auteurs classiques, à des faits de vie courante difficiles à vivre. Le fil rouge qui lie l’ensemble serait peut-être la présence de femmes (pas toujours si jeunes d’ailleurs) et de leurs apports aux hommes ? Ce que leur apportent tout au long de la vie les mères, les amantes, les soignantes, toutes ces femmes qui sous-tendent la vie des hommes d’un bout à l’autre ?

Mais si l’éros est là, la mort n’est jamais loin, l’humour ne la masque pas et l’on quitte le livre avec une drôle d’impression, sans savoir que penser de ces « vraies jeunes filles ».

Une chose est sûre, Michel Host excelle à créer des ambiances diverses, à prendre le ton qui s’impose, usant tantôt de mots peu usités (éréthisme, emberlucoqué, senestre…), tantôt d’un ton très ordinaire, pour ne pas dire plus, comme dans « Racaille ».

Cette riche palette de genres (contes, légendes, mythes, récits de vie), cette riche palette de tons (châtié, recherché ou, au contraire, presque argotique quand le sujet l’exige), cette riche palette de concepts de vie (de la noblesse de cœur à l’animation débridée des cours de latin et aux aspects douloureux de la vie) font de ce livre un livre inclassable. Mais un livre doit-il nécessairement être classé ? Il vaut mieux se résoudre à se laisser emporter par la fantaisie créatrice de l’auteur et par ces femmes qui donnent vie, amour et mort à l’homme ?

    Isabelle Fable