Nadine Monfils, Le Rêve d’un fou, Fleuve éditions, 2019.

La romancière a mis ses pas dans ceux du Facteur Cheval et sa plume dans la bassine où ce phénomène de l’Art brut a pétri le mortier d’un palais qui se voulait idéal. Nous sommes dans la Drôme, entre 1879 et 1912, trente-trois ans de labeur, en plus de ses tournées quotidiennes par tous les temps et les chemins, pour édifier un temple de pierre de 12 mètres de hauteur et 26 mètres de longueur. Une utopie pharaonique qui a fait s’écrouler de rire ses voisins, mais enchanté plus tard, après la Grande Guerre, les dadaïstes et les surréalistes, influencé les artistes de tous bords, de Niki de Saint Phalle à François Schuiten et qui attire encore des milliers de touristes venus du monde entier. Un biopic récent, interprété par Jacques Gamblin, en a fait une sorte de don Quichotte angoissé, maigre héros à la triste architecture, qu’on a pu voir de près dans tous les cinémas de la planète. Qu’ajouter donc à la gloire de ce petit postier génial, sorte de Louis de Bavière de campagne, mais plus illustre aujourd’hui que le père de la gare des Guillemins ? Un livre supplémentaire ? Il y en a plus de vingt qui ont été écrits. Un tableau ? Picasso est passé royalement avant tout le monde. Un spectacle son et lumières ? Il existe déjà sur place, sculptures, images et textes, dans la tête de ce fabuleux poète et magicien que fut cet infatigable maçon, à l’œuvre jusqu’à sa mort. Non, rien qu’une tendre et familière fiction que Nadine Monfils ajoute à cette humble odyssée qui l’a émue profondément. Une autre approche, une lecture de proximité, des phrases qu’elle lui prête, qu’il a dites, qu’on a rapportées, des mots de tous les jours sur ses peines, ses deuils si rapprochés, ses trouvailles fantastiques, ses figures et décors inspirés par les gravures des magazines, ses découvertes d’explorateur immobile et, ce qui est neuf cette fois, l’existence d’un personnage attachant, la fille aveugle de son voisin peintre, mort depuis longtemps, alors qu’elle était partie au loin pour oublier son père mais que notre Cheval n’a pas perdue de vue dans ses songes et souvenirs les plus intenses. La romancière la fait vivre, invente les lettres que l’artiste lui envoie et nous fait partager de cette manière inattendue des sentiments à la fois paternels et amoureux qui lui font quelque peu oublier les proches qu’il a vus disparaître autour de lui.  Ce n’est donc pas vraiment une biographie ni une nouvelle version plus ou moins fidèle à la réalité, mais plutôt une légère pierre de sable ou de billet doux en ardoise  que l’auteur dépose sur le perron d’un incomparable monument d’amour. Nadine Monfils ne se la joue plus ici en Madame Edouard, loufoque et grivoise,  mais plutôt en Madame Ferdinand, très proche de son modeste modèle, lui prêtant son oreille et son encrier complice pour transcrire sans les trahir l’infinité des rêves qui ont hanté ses nuits et fait briller son inaccessible étoile, avant qu’il ne repose dans le « Tombeau du Silence et du repos sans fin », le titre qu’il donna à son impressionnant caveau, son ultime chef d’œuvre.

                                                                  Michel Ducobu