Philippe Leuckx, Poèmes du chagrin, éd. Le Coudrier, préface de Jean-Michel Aubevert

Il est bien des façons de porter son deuil. Philippe le fait ici en poésie, dans un recueil où tous les mots semblent dits à voix assourdie, et comme sortis d’une source cachée au fond des bois. Quand je touche la lumière, nous dit-il p.9,, elle résiste comme une roche. Dans l’entre-deux du temps, il y a ce noeud embroussaillé du chagrin.

Ou bien, l’image la plus juste, me semble-t-il, et la plus prégnante, même si elle n’est pas exprimée comme telle, celle d’une photo, en gris ou en sépia, des débuts de la photographie, ou bien pas encore sèche, aux lignes atténuées, dans une sorte de grisaille. Ou bien celles des débuts de la couleur, retournant, sous la cellophane des pages d’album, à leur couleur initiale, pâlie, alanguie…

Non, pas de cris, seulement des touches légères, et comme évasives…Pour aller où? Les au-delà sont toujours provisoires et fugitifs. Une sorte de liberté conditionnée. Un confinement sans lieu fixe…

La lumière, ce mur de mer sale entre le monde et moi, resserre les fenêtres, obstrue ma pensée, me rejette dans l’ombre. (p.10)  Qui longe ce mur sombre sans même cueillir l’ombre? Je vais à reculons me chercher loin derrière le temps. (p.11). Quelque chose de noir s’invite. Tu as le dos tourné. (p.14) La maison est un étrange bloc de silence. (p.16) Partage le peu comme on le fait /  du pain avec la main qu i tremble (p.17). L’espace d’une buée ou d’une poussière de tulle, nous aurons pu rêver à l’envers d’un rêve. (p.19) On marche à reculons vers le temps qui n’est plus et qui était présence. (p.23) On retourne au pays/ pour l’ombre qu’il recèle / entre les arbres (p.29) la berge où l’on songe à longer /sa vie une fois de plus (p.30)

Et puis, p.36: Oh! que l’enfance est loin , car l’enfance; c’est, tout simplement la vie, et la poésie qui en est la quintessence. Vivre en poésie, cette part de nous qui n’est pas d’une attente, car nous ne sommes pas au monde. Cette part de musique qui est dans l’ombre, et qui soudain s’absente. Cette grive, p.42:  Parfois cette grive lente / nous ressemble / à gratter ainsi la terre nue / sans trop savoir / le coeur des choses / ni les coquilles vides / que le temps sème / sous les pas.

Ce n’est qu’à la fin du recueil, doucement, très doucement, que se réveillent des souvenirs de voyages, avec elle, comme un écho lointain…

Joseph Bodson