Pierre Boulengier, Comme un passant…, poèmes, Malmedy, chez l’auteur, 127, route de Falize, 4960 Malmedy, 2019

Pierre Boulengier possède éminemment le sens de l’humour, mais une variété d’humour assez mitigé, et comme tempéré par un soupçon de mélancolie. Plus qu’un soupçon, même, parfois. Car il en va de la mélancolie comme des feuilles d’automne,: elles varient du jaune absolu du gingko au rouge éclatant de l’érable du Japon. Et cet humour teinté de mélancolie est aussi marqué au coin d’une grande distinction, d’une grande sobriété dans ses procédés. S’il fallait lui trouver une famille d’esprits, je citerais volontiers Valéry Larbaud, à moins que ce soit l’un de ces poètes fantaisistes, Norge, Toulet peut-être, ou bien Christian Bobin, qu’il cite en exergue:: Pour lire un roman, il faut deux ou trois heures. Pour lire un poème, il faut une vie entière. C’est que la poésie, elle se lit en vivant en rêvant, et cela prend beaucoup de temps. Du temps d’éternité, qui dure plus longtemps.

Mais écoutons-le plutôt, dans Une île, p.27: (‘Je suis une île surgie le temps de voir la lumière, dure comme la pierre puis sombrer – Titos Patrikios) Je vivais sur une île, au sommet d’une colline, / une presque montagne sans aucune prétention. / De là, je considérais toutes mes trahisons. / Aussi mes vieux émois et mes espoirs déçus; / ensevelis sous les heures perdues / qui laissaient couler les semences du temps. // Mais revoici de l’aube l’inflorescente / et insincère promesse d’éternité. Ou bien dans Sang d’encre, p.38: Par le col de l’entonnoir coule, / goutte à goutte / et sournoisement, / l’encre noire du doute./ Dans l’encrier du temps / ont macéré /des mots avortés, / et leurs sédiments. // Le temps d’un doute, / et c’est toute / la page qu’on arrache, / C’est la vie qu’on gâche. // Le sang des mots / sous la plume pâlit, et seul un vague écho / parfois survit. Nulle mièvrerie ici, nulle imitation servile: seulement la mélancolie la plus quotidienne, moins qu’un soupir, pire qu’un regret, parfois.

Ecoutez donc Le sanatorium des âmes, qui semble sortir tout droit du brouillard, et que Laforgue n’aurait pas dédaigné:Pour Les désemparés / Pour les désespérés, / il y a quelque part / (il devrait y avoir) / un sanatorium des âmes. / On y respire de la musique, / on y boit de bonnes paroles / au goût un peu pharmaceutique. / Il y plane des chimères folles / qui sur les fils télégraphiques / se posent comme des notes sans paroles . / Non, ce n’est pas une sorte de purgatoire / où l’on va se faire pardonner / par des rites expiatoires / le péché d’ avoir juste été.

Voilà. Passé le sanatorium, il y a un bois, vous tournez à droite, et vous continuerez bien sans moi: je vous promets bien d’autres découvertes, douces-amères, comme il se doit, en cette fin de novembre.

Joseph Bodson