Pierre Jodogne, Edmond d’Hoffschmidt de Resteigne, dit l’Ermite, Une vie singulière (1777-1861), Académie royale de Belgique, 2018

Edmond d’Hoffschmidt est né en 1777, soit douze ans avant la Révolution française. Il a grandi dans une famille de petite noblesse campagnarde, au château de Lesve (Profondeville). Pendant sa jeunesse, il vécut les turbulences qui agitèrent nos régions, lorsque les Pays-Bas autrichiens furent envahis par les troupes révolutionnaires françaises avant de passer sous l’autorité de l’Empire napoléonien.

À 29 ans, il s’engagea dans le régiment des chevau-légers du duc d’Arenberg, au service de l’empereur. De cet épisode militaire de courte durée, on retiendra surtout la rencontre qu’il fit en Poméranie de Christiane von Keffenbrinck, de quinze ans sa cadette. Cette rencontre suscita un amour passionné, mais sans issue. En effet, de retour au pays, Edmond manifesta le désir de devenir ermite.

Pierre Jodogne, l’auteur de cette magistrale biographie, distingue deux causes à cette décision. La première est d’ordre philosophique : le tempérament d’Edmond le portait vers la mélancolie, le dégoût du monde, entretenus par la lecture de Jean-Jacques Rousseau. De plus, l’ermitage était à la mode au XVIIIe siècle. La seconde cause serait d’ordre familial : les parents d’Edmond se seraient opposés à l’union avec le jeune Poméranienne au motif qu’elle était luthérienne, de langue allemande et vivait à 400 lieues du pays de Namur. De caractère autoritaire, Adolphe d’Hoffschmidt ambitionnait un autre parti pour son fils.

Edmond entreprit donc de (faire) construire une bâtisse de pierre sur une colline située dans le bois de Niau, commune de Resteigne. En dépit des liens sentimentaux qui unissaient Christiane à Edmond, celui-ci persistera dans sa volonté de se retirer du monde. La construction débuta probablement en 1815, année décisive sur le plan politique et international, pour s’achever en 1822. Il y vécut de façon régulière jusqu’à sa mort en 1861, cuisant lui-même son pain et se nourrissant de manière frugale.

En 1824, il fit la connaissance de Victoire Suray, fille d’un cultivateur de Belvaux. Un enfant, Léocadie, naquit bientôt de cette liaison ; Edmond l’accueillit sans toutefois la reconnaître. En 1830, le décès d’Adolphe d’Hoffschmidt, le père d’Edmond, entraîna le partage de ses biens entre l’Ermite et sa sœur Louise. Edmond héritait entre autres du château de Resteigne. À partir de là, l’Ermite fut contraint de faire quelques concessions aux obligations d’un gentilhomme campagnard, responsable d’un domaine. Il s’occupait aussi à distance de l’éducation de sa fille Léocadie.

En 1838, âgé de 61 ans, Edmond d’Hoffschmidt accepta enfin d’épouser Victoire religieusement, sous la pression exercée sur celle-ci par le curé. Leur liaison était un objet de scandale dans le village. Notons que ce mariage, non précédé d’un acte civil, était illégal et donna lieu à un procès.

En 1841, la débâcle de la Lesse provoqua la destruction du pont en bois de Resteigne. La difficulté de trouver des fonds pour le reconstruire éveilla l’intérêt de l’Ermite pour la vie communale. En 1846, il devint conseiller communal. Un conflit surgit entre lui et le bourgmestre Lamotte à propos de ce pont. L’Ermite l’emporta et Lamotte démissionna. Un nouveau pont fut construit, en pierre.

Entretemps les relations entre l’Ermite et sa fille Léocadie se dégradent. Il supporte mal l’attachement de celle-ci aux pratiques religieuses. Âgé de 69 ans, l’Ermite devient sombre, acariâtre, désabusé. Il se détache aussi de Victoire, qu’il appelle « la gouvernante ». Élu bourgmestre en 1848, Edmond se montre bon gestionnaire et d’une grande générosité envers les indigents, nombreux à cette époque. Il assura la construction d’une école à Resteigne.

En 1854, l’Ermite perdit son cousin François d’Hoffschmidt avec qui il était très lié. Ce décès renforça l’affection qui l’unissait à sa cousine Léopoldine. Celle-ci cependant se remaria, ce qui enleva toute perspective à Edmond.

À Resteigne, l’Ermite commence à être l’objet de critiques et de railleries. Sa santé se détériore. Il poursuit sa tâche de bourgmestre, mais son attitude de libre-penseur se heurte de plus en plus aux tenants du catholicisme. Il rédigea son testament. Son entourage s’inquiétait pour le salut de son âme. Il décéda de 12 mars 1861, probablement en son château de Resteigne. Il laissait une fortune considérable.

Telle est donc, esquissée, la vie de cet homme auquel Pierre Jodogne a consacré des années de recherche. Cette biographie présente un double caractère. Elle se lit comme le roman d’une vie pleine de rebondissements et de contacts, ce qui est paradoxal pour un ermite. Mais c’est aussi un travail de type universitaire par le dépouillement de quantité d’archives et d’une abondante correspondance. De nombreux extraits de lettres sont cités dans l’ouvrage.

La personnalité de l’Ermite est ainsi découpée au scalpel. Ses opinions sont analysées, ses lectures, ses amitiés, son mode de vie, ses qualités et ses défauts. Sa relation avec les femmes constitue la pierre d’achoppement de cette vie singulière : l’échec d’un amour de jeunesse, la liaison avec Victoire Suray d’où naîtra une fille, son refus du mariage, tout cela aboutira à un sentiment d’inachevé qui lui fera écrire en 1853 : Mais au fond, une base de bonheur me manque : c’est l’attachement d’une femme comme je la voudrais ; et j’aurai vécu et je mourrai sans réaliser ce qui me fut une chimère. (page 206)

Cette étude approfondie laisse pourtant des zones d’ombre. C’est le mystère d’un homme dont la conduite parfois échappe à toute explication, ce qui le rend d’autant plus attachant. Rendons hommage à Pierre Jodogne d’avoir sorti Edmond d’Hoffschmidt de l’ombre où il était plongé depuis un siècle et demi. L’ouvrage, publié par l’Académie royale de Belgique, contient plusieurs annexes : Sources, Crayons généalogiques et Index des noms de personnes et de lieux.

Jacques Goyens