Colette CAMBIER, Alexandra Andréevna, Roman d’une vie, chez l’auteur, 311 pages , 22 euros.sur Amazon.fr (broché), 311 pages, 22,16 euros & Kindle (numérique), 5,00 euros.sur Amazon.fr (broché), 311 pages, 22,16 euros & Kindle (numérique), 5,00 euros.
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Roman d’une vie, mais pas seulement cela. Certes, nous parcourons la vie d’une jeune femme russe qui, en 1920, vient  faire sa médecine à Louvain. Au-delà du genre « biographie », s’entremêlent harmonieusement la fiction, un journal tenu par Lida (et on se prend parfois à penser qu’il y va ici de l’auteur), la chronique des évènements qui, durant les XIX et XXème siècle et jusqu’à nos jours, vont ensanglanter l’Europe de Leuven à Kichinev (actuellement Chisinau, en République de Moldavie), réduire certains peuples à l’esclavage et  voir les frontières se modifier.  On l’aura compris, le livre de Colette CAMBIER ne se limite pas à la biographie d’Alexandra. C’est une vaste fresque, un saga familiale qui se déroule devant les yeux tantôt étonnés, ravis, tantôt attendris, horrifiés du lecteur : de l’ancêtre, KAMBER, né en 1764  à Talasa, « à quatre heures de marche de Césarée », nomade, éleveur et marchand de chameaux, dont « la caravane, comme une écriture noire dans la lumière du désert… déroule ses silhouettes au gré du déhanchement régulier de l’animal…. », qui amène ses bêtes sur les bords de la Mer noire, à  André Christophorovitch (père de notre Alexandra), qui fera son droit à Moscou,  et qui sera si amoureux de sa musicienne de femme, Alexandra Mikhhaïlovna, d’origine bulgare, sans oublier l’ostendais Joseph PROSPER, époux d’Alexandra, arrivé à Leuven en 1912 pour y faire sa médecine. Il sera futur chercheur et brillant professeur. Ambiance dans la famille de Joseph, lorsqu’il déclare vouloir épouser Alexandra : « Joseph dit que le père de sa fiancée est avocat à Kichinev, Kichinev ? La Bessarabie fait partie des contes des mille et une nuits, non rien à voir avec l’Arabie, la Russie, les Russes sont des sauvages, ils ont assassiné leur tsar. En Roumanie ? Il faut s’entendre, c’est en Russie ou en Roumanie ? On en parle à table, en flamand, en français, en anglais, on dissèque, on discute….. ».

Et puis, que de belles pages, sur Pouchkine, sur la maison familiale de Louvain puis d’Heverlee, sur l’enfance, la maladie, la vieillesse, sur le couple, l’amour (« Alexis et Kapitulina entendent parler d’arrestations mais ils évoluent dans une bulle d’amour, intouchables, intouchés,ils font un enfant en 1926, on ne fait pas un enfant quand on pense que tout va mal et qu’on lui laisse un monde de merde ») l’absence, le couple, le temps qui passe, sans oublier la vie quotidienne («  Elle s’en va faire sa lessive, la machine à laver a aussi reçu un nom, Chloup-tichloup… cet engin à cylindre vertical, un vrai prodige……dans le verger, il y a une mare à canards, ils l’appellent pelote gâ gâ »).

Tout cela dans un style qui évoque tantôt CELINE, tantôt  Jaume CABRE (Confiteor[1]), mais qui n’en est pas moins ce style propre à Colette CAMBIER, bien à elle seule, par ailleurs poète, conteuse, chroniqueuse, extraordinaire metteur en scène.

Et, à la fin du livre, quand on se prend à dire : « Alexandra, je ne t’oublierai jamais », on entend, à travers tirs et cris, chuchotements et déclarations, toutes les liturgies, tous les chants de la vieille Russie.

 

Michel WESTRADE

25 novembre 2011.

[1] Actes Sud, 2013.