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Tarek Essaker, La Glaneuse.Le mot fou éditions, coll. Les lunatiques, 2013, 122p., 13€)

Le gars de Gafsa (Tunisie) est devenu poète et a troqué son exil contre des poèmes et une vie ciselée autour des fondamentaux.

Né en 1958, là-bas, il est chez nous, de chez nous, et son livre, quatre récits très poétiques exaltent les vertus de féminité, de terre familière et nourricière,  mais aussi les thèmes plus graves de l’exil, de la mort, du passage clandestin mortel ou périlleux.

Tarek prête voix à une femme et l’alterne avec la sienne, celle de l’exilée et celle du récitant, figure du messager ou du témoin qui recueille, fait distance, ordonne le récit.

La réflexion sur le nomadisme et les « voix qui assiègent » (pour reprendre le beau titre de feue Assia Djebar) la mémoire donnent à « Dans la lanterne des ogres » une dimension de récit initiatique. « Nous sommes les nomades à la recherche du dernier soir qui peut apaiser l’éclat de la lumière » (p.107)

Lumière, vie, mémoire, livre , ombre nourrissent  cette nouvelle : « Nous allons ouvrir le livre. Ce livre écrit par notre peuple qui se déchire et rédige sa souffrance par le sang ».

Le long récit « Une charrette à la mer »,  qui court sur près de cinquante pages, témoigne, comme « Eldorado » de Gaudé, de la « peur » des migrants, des « cales aux esclaves », de « l’embarcation livrée à la mer » et de ces « tragédies » ordinaires, terrifiantes, de devoir prendre la route périlleuse contre son gré pour échapper au pire. L’histoire, qui n’est pas une fiction romanesque banale, est expression poétique, d’un lyrisme blessé : « l’eau claire comme au temps de l’enfance » contrebalance les passeurs, la douleur, l’exil. Les belles métaphores sont l’antidote à la barbarie : « l’heureuse rumeur de l’inconnu », « le regard qui cherche le bord du monde »…

Au lieu de ça : « l’histoire cannibale des hommes »

« La glaneuse » échafaude des espoirs, raisonne sans cesse sur « ses exils »

« Dans la rétine de l’enfer », le quatrième récit explore aussi l’intime présence d’une femme au monde qui se délite.

Un bel ensemble de longs poèmes narratifs, qui sourd d’une belle poésie prégnante et partageable. Seul reproche, et c’est à l’éditeur ou à l’imprimeur : quelques coquilles (pp.22, 29..) déparent la qualité de l’ouvrage.

Une voix, que Tétras Lyre nous avait fait découvrir, plus ample aujourd’hui, et toujours sensible, à suivre, de très près, parce que nous aimons cette manière personnelle d’évoquer la femme avec autant de précise acuité.

 Philippe Leuckx