Voyage en Arctique sur des traces illustres

Léon Losseau, bourgeois humaniste, dont la maison art nouveau est devenue à Mons le Centre de la Littérature du Hainaut, fit une escapade vers le cercle polaire arctique en 1929. Chargée de la gestion de cette propriété provinciale, Françoise Delmez a décidé, presque cent ans plus tard, en compagnie de la photographe Claire Ducène, de suivre ses traces et de comparer le voyage d’autrefois avec celui d’aujourd’hui. De « tenter d’habiter cette parenthèse de vie d’une âme errante ; celle d’un homme dont le corps encombré de siècles s’entortille dans les vents d’un bateau, comme l’écrit Olivier Terwagne dans la préface de Les nombreuses étendues ouvertes de la mer. » [1]

Résultat : une exposition qui regroupe une belle quantité de documents et mène les visiteurs à caboter de la réalité à la fiction ou l’inverse, puisqu’il s’agit de comprendre les frontières ténues entre le voyage intérieur, le voyage « réel » et le voyage imaginé.[2]  D’abord, un livre, journal fragmentaire de la croisière. Ensuite des archives authentiques et d’autres fabriquées pour la circonstance. Puis encore des adjonctions sonores concoctées par Giulia DeVal et Andrea Marazzi. Et surtout, évidemment des documents photographiques.

Le jeu proposé au visiteur consiste à se laisser guider sans trop s’interroger sur l’authenticité de ce qu’il découvre. C’est que l’ensemble est vraiment un pêle-mêle, c’est-à-dire ce cadre dans lequel on disposait diverses photos de famille par exemple. Sauf qu’ici, il n’est pas toujours aisé de distinguer avec certitude ce qui appartient à la réalité vécue par Léon Losseau ou par Françoise Delmez ou qui est lié à l’envie de voyager instillée par des éléments culturels comme les légendes, des écrits littéraires.

Le vrai du faux

Tout s’avère conçu pour se situer dans cette interrogation fondamentale qui s’affirme depuis quelques décennies, depuis que le monde virtuel des nouvelles technologies a fait irruption dans la réalité quotidienne des humains. A chacun de : soit se laisser aller à sa propre visite, soit  chercher à démêler le vrai de l’inventé. L’important restant de se laisser toucher par ce qui est vu ou entendu.

La présentation des photos noir et blanc, en majorité celles de Claire Ducène et de Stig Marlon Weston, parie sur des superpositions de plans créant l’espace d’une troisième dimension à des images qui n’en ont que deux, sur une succession d’accumulations en surimpression, sur un travail associant des reflets, sur un usage du flou qui tend parfois vers le pointillisme pictural de certains impressionnistes ou qui s’assimile à quelque brume nordique ainsi qu’à la luminosité des aurores boréales.

Des collages sont également susceptibles de transformer la perception d’un lieu, voire de carrément le recréer quand il s’agit de photos originelles de Losseau. Des éléments externes viennent contraindre le visiteur à percevoir le visible d’une manière insolite, celle de la déformation du souvenir que la mémoire inflige par exemple, à travers une vitre de verre martelé. Et l’utilisation de la chambre noire de Losseau lui-même, objet historique s’il en est, ramène le développement des clichés à un avancement technique centenaire.

Cette alliance d’art visuel avec la littérature (légende, récit de voyages, poésie, roman, essai…), l’observation géographique objective, les souvenirs lointains du globe-trotteur initial et ceux récents des deux touristes actuelles forme un tout dont il n’est pas innocent qu’une partie a été baptisée « Labyrinthe ». Cela correspond bien à cette notation de Françoise Delmez qui  «revendique avec Claire, le mensonge – la fiction ?- pour atteindre, à travers les espaces différés, la vérité des émotions. »[3] C’est encore visible jusqu’au 29 juin 2019.[4]

[1] Françoise Delmez, Claire Ducène, Les nombreuses étendues ouvertes de la mer. Voyage au cercle polaire arctique, Bruxelles, Traverse, coll. Carambole/Prose, 2018, p.9.

[2] Claire Ducène, Croisière au Cercle polaire. Eté 1929, Guide du visiteur, Mons, Maison Losseau, 2018.

[3] Delmez, Ducène, op. cit. p.13.

[4] Maison Losseau, 37 rue de Nimy à Mons. Infos 065 39 88 80 ou www.maisonlosseau.be

 

Michel Voiturier