Armel Job, Le passager d’Amercoeur, roman, Robert Laffont, 2024, 269 pp, 19 €.

Tout véritable écrivain possède sa marque de fabrique, et cela va des longs adverbes de Verhaeren au vérisme étymologique de Leconte de Lisle, sans oublier le style « neutre » – apparemment neutre – de Georges Simenon.
Ce qui frappe chez Armel Job, c’est l’attention portée aux personnages dits secondaires : ils sont dépeints avec autant de soin, avec autant, dirons nous, de « chaleur humaine », que le personnage principal. D’autant plus, bien sûr, lorsqu’il s’agit d’un roman policier, ou du moins, du roman à énigme, puisque chacun de ces personnages dits secondaires peut devenir le coupable sur qui se focalisera l’attention du lecteur. « Le passager d’Amercoeur » en constitue un bel exemple : le passager lui-même, Momo, enfant abandonné par sa mère, Grâce Bonjean, son épouse, la suicidée ou apparemment telle, la sœur de celle-ci, Laetitia, la mère adoptive de Momo, Céleste, Mme Fergus, son premier amour, suicidée elle aussi, sa véritable mère, qu’il a fini par retrouver, sans oublier l’archéologue, les policiers, les commerçants, et, last but not least, l’auteur lui-même : il a bien connu certains des personnages, et son « je » perce de temps à autre, sans nuire le moins du monde à l’action, bien au contraire, en en cautionnant davantage encore le réalisme. Un peu comme l’ami du « Grand Meaulnes », ou les villageois d’ « Un roi sans divertissement » de Jean Giono.
Les suspects ? Cela pourrait être n’importe qui, à part l’auteur bien entendu, qui en ce cas ne serait pas là pour nous raconter l’histoire. Quoique…il ne manque pas de polars où c’est le criminel lui-même qui mène, non point l’enquête, mais le récit de ses faits et gestes. Décidément, le roman policier, depuis l’Œdipe de Sophocle et le vol des bœufs d’Apollon par son petit frère Hermès, a déjà une belle histoire derrière lui. Et un bel avenir, sans nul doute.
Mais il s’agit ici, comme vous vous en doutez, de bien autre chose encore. Pour employer un bien grand mot, la destinée humaine. Chacun de ces personnages a la sienne, chacun a son destin, auquel nul n’échappe…quoique, tout bien pesé, il nous reste cette petite et précieuse part de liberté qui forme notre moi le plus intime. Comme le disait Victor Hugo : « Chaque homme dans sa nuit marche vers sa lumière ». Un alexandrin qui vaut bien le « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » de Paul Valéry.
Voilà. Je vous souhaite un beau voyage, dans ces paysages de la vallée de l’Aisne, dominés par la villa mystérieuse, qui surplombe de bien haut le cours de la rivière…Un personnage aussi, à elle seule, cette villa. J’allais l’oublier…

Joseph Bodson