Auguste Laloux, Li P’tit Bèrt a eu 50 ans, numéro spécial des Cahiers wallons, n°4 et 5/juillet-septembre 2020

Dans ce copieux numéro spécial (160 pages), Bernard Louis remet à l’honneur une oeuvre d’Auguste Laloux, qu’il qualifie à juste titre de chef d’oeuvre. Elle avait paru le 17 juin 1969 sur les presses de l’Economie populaire à Ciney, et avait reçu dès 1968 le prix biennal de littérature wallonne. Le 8 novembre 1997, dans son village, à Dorinne, un hommage lui fut rendu par la Société de langue et littérature wallonnes. Au cours de la séance, prirent la parole Jean Guillaume, Jean Germain, Victor George et Bernard Louis. Celui-ci republie sa contribution dans ce numéro, dont elle forme la seconde partie.
Dans la première partie, Auguste Laloux (1906-1976) et son oeuvre, il cite Victor George, à propos de la prose wallonne: « Bref, le genre demeurait pusillanime, et l’on attendait un maître animé d’un grand souffle romanesque. On ne l’espérait plus quand, au début des années soixante, Auguste Laloux sortit de l’ombre. Cette fois, la prose wallonne prenait son envol. » Victor George a beaucoup fréquenté Auguste Laloux, qui fut professeur d’humanités, et ensuite précepteur privé. Pendant la guerre de 1940, il avait accueilli chez lui des enfants placés ou retardés.
Dans sa seconde partie, Regards sur Li P’tit Bèrt, il fournit un résumé du roman, dont il analyse ensuite la composition: le récit lui-même, les épisodes secondaires, et ensuite les contes. Il ajoute à propos de ceux-ci: « Pour notre part, nous dirions que ces contes s’intègrent bien dans la première partie, toute dévolue à l’amusement, à la plaisanterie, et ces contes sont comiques. » Avec l’acribie qu’on lui connait, Bernard Louis procède ensuite à une étude approfondie de chacun des personnages. Vient ensuite une troisième partie, des extraits du roman,, dont certains repris à quelques anthologies: Maurice Piron, Willy Bal.
Ce qui frappe surtout, me semble-t-il, dans ces textes, c’est un contact avec la nature assez extraordinaire: non pas la nature telle que l’entendaient les romantiques, réagissant aux sentients des humains; ni une description réaliste, ou naturaliste, se perdant dans des détails garantis authentiques, mais une nature vivante, agissante, dont l’être humain lui-même fait partie, et qu’il vit, qu’il décrit en quelque sorte de l’intérieur, Ainsi, p. 130, cette description extrêmement vivante des abeilles dans un vieux tilleul: « Dès moches, è gn’aveut-i, dès moches d’api, dins lès fleûrs fi tiyoû pa d’vant l’èglîje: dès mile !t dès mile cwades qui s’aurint crwèjelè dins lès coches, qui tron.nint tortotes èchone. C’èsteut dol lumière qu’i gn’aveut pat’t-avau tot: su lès près, dins lès djârdins; qui r’glaticheut su l’vôye fine blanke. » (Des mouches, il y en avait,des mouches à miel, dans les fleurs du tilleul devant l’église, des milliers de cordes qui se seraient croisées dans les branches, qui tremblaient toutes ensemble en vibrant; c’était de la lumière que l’on écoutait; de la lumière qu’il y avait partout éparse; sur les prés, dans les jardins; qui resplendissait sur la route toute blanche.) On notera l’extraordinaire mélange, ici, des impressions visuelles et auditives: pour un peu, l’on se croirait dans les Correspondances de Baudelaire.
De même, p.134: « Li brune rascouvieut fait-à-fait toutes les coleûrs; i n’ lûjeteut pus qu’one roye di clér tot-au coron, padrî lès tiènes. Tot rate ci sèrè plin tot l’ciél, s’apinse qu’on dit, li froche dins lès stwèles; dès mile, dès mile… (Le crépuscule recouvrait peu à peu toutes les couleurs; seule luisait encore une raie de clarté, tout au fond, derrière les tiennes. Bientôt tout le ciel en serait rempli, et, comme on dit, la pagaille dans les étoiles; des milliers, des milliers…
Un morceau de maître encore, que la tempête qui précède de peu la mort du héros, p.144: « Mins tot d’ swîte…di d’ci n’ dîreut-on nin dès grossès-êwes sui grôlenut d’à l’ copète do tiène? I r’ monte one novèle chûléye di vint qui passe su lès-aubes en lès flachant èt qu’è va distinde dins lès bwès d’Miyènôye. Pwis cor one, cor one. Ci n’èst pus dès-omes tchantè qu’ li P’tit Bèrt choûte: lès grands tchin.nes, lès wôts ièsses tchantint autou d’ li, en plèyant leûs bures tortos èchone: on sauvadje tchant qui court su lès dzeûs. Li tchant d’tos lès maleûrs, totes l!s pwin.nes dispôy qu’i gn’a dès djins au monde. Mins li, adon, télemint qu’il èsteût contin, i lî aureut falu cryi. (Mais tout de suite…d’ici ne dirait-on pas les grandes eaux qui grondent depuis le dessus du tienne? Il remonte une nouvelle bouffée de vent qui passe sur les arbres en les courbant, et qui va s’éteindre dans les bois de Mianoye. Puis encore une, encore une. Ce ne sont pas des hommes qui chantent qu’écoute Bert: les grands chênes, les hauts hêtres chantaient autour de lui en pliant leurs troncs tous ensemble: un chant sauvage qui court sur les hauts. Le chant de tous les malheurs, toutes les peines depuis qu’il y a des gens au monde. Mais lui, alors, tellement il était content, il lui aurait fallu crier.)
Et c’est précisément ce mélange de force et de douceur, de peine et de tendresse, cette précision extrême du vocabulaire, aussi bien dans les scènes où règnent les sentiments humains que dans celles qui évoquent la nature, qui font la force de cette oeuvre majeure
Joseph Bodson

PS: en quatrième partie, Bernard Louis a placé un lexique fort bien fait. Le texte est uniquement en wallon.
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